La lecture analytique

                                                                                                    

Lire un texte, c’est déchiffrer des suites de caractères écrits ou imprimés, c’est articuler des éléments signifiants afin d’en dégager ce qu’ils cachent comme sens.  Cette activité s’entretient et suppose l’apprentissage, la connaissance et l’articulation des différents sons des syllabes et aussi les différents signes de ponctuation. La linguistique de texte a fait prendre conscience (…)  Que les mots n’avaient pas un sens une bonne fois pour toute, mais ne prenaient sens que dans le cadre du texte. Quant au sens du texte, il n’était pas dans le texte, mais venait à celui-ci dans sa saisie par le récepteur. 

Il existe de nombreuses techniques de lecture permettant d’adapter la façon de lire à l’objectif visé par le lecteur. Ce dernier peut, par exemple, après avoir exploré un texte pour se donner une hypothèse de sens global, il   peut décider de poursuivre sa démarche par une lecture complète et analytique.  L’objectif du lecteur est alors d’approfondir le texte en analysant comment l’auteur élabore son projet d’écriture. Cette stratégie le mènera, selon ses besoins, à enrichir ou à nuancer sa compréhension du texte et à valider, ou non, son hypothèse de départ.

 

Une lecture analytique comporte trois opérations complémentaires qui doivent être effectuées selon la séquence suivante :

• la clarification des données

• l’examen du mouvement de la pensée

• l’analyse de l’énonciation

 

1.La clarification   des données 

Une lecture analytique commence par le repérage et par la résolution des difficultés que posent au lecteur certains éléments qui obscurcissent le sens du texte ou sa présentation.

Ce sont des mots ou des références présents dans le texte et porteurs d’une information inconnue du lecteur, et des connaissances implicites, c’est-à-dire tout ce que l’auteur s’abstient de dire parce qu’il le suppose connu du lecteur. Ce travail de clarification évite les dérapages et renverse la situation : les éléments résolus nourrissent la compréhension au lieu de lui nuire.

• Les mots servent à préciser ou à nuancer les idées associées au thème (de quoi on parle) et au propos (ce que l’on dit du thème) du texte ; lorsqu’ils sont, pour le lecteur, inconnus ou peu clairs, ce dernier consulte le dictionnaire et choisit, parmi les sens donnés, celui qui convient au contexte ; c’est le sens contextuel « Polysémie et sens contextuel ».

Observez comment le recours au dictionnaire permet de comprendre la nuance liée au sens contextuel du mot en italique dans les deux phrases ci-dessous :

Ce futur premier ministre tient tout le monde en expectation (attente).

Dans le cas de ce malade, l’expectation (absence de traitement) a été une bonne stratégie.

 

• Les références illustrent les idées, les rendent plus concrètes ou situent le lecteur. Pour qu’elles soient plus signifiantes au regard de l’idée, celui-ci cherche à établir le lien avec le contexte de la phrase, consulte alors un dictionnaire des noms propres, effectue une recherche (bibliothèque, Internet), ou s’adresse à un professeur.

Marie Curie et Lucille Teasdale ont été pour les femmes des modèles inspirants. 

Dans le contexte de la phrase, on comprend que les deux femmes citées ne peuvent être que remarquables ; la recherche précisera cette idée : elle nous dira quand et de quelle façon ces femmes ont marqué leur époque.

 

• Les connaissances implicites sont des faits ou des notions qui ne sont pas mentionnés dans le texte, mais sur lesquels s’appuient les idées développées ; l’auteur présuppose qu’elles sont connues du lecteur. Un texte ne peut pas tout dire, il faut donc souvent lire entre les lignes en mobilisant sa réflexion, ses connaissances et sa mémoire.

– Le lecteur doit faire appel à ses connaissances pour tirer profit d’un mot ou d’une référence qui comprend des informations implicites. Voyez, dans l’exemple qui suit, comment les éléments en italique réfèrent à des connaissances préalables qui nourrissent l’idée.

La démocratisation de la lecture commença avec Gutenberg.

Pour comprendre le mot démocratisation, il faut se rappeler les inégalités sociales et les luttes de classes qu’elles ont engendrées pour assurer à tous les mêmes droits.  De même, le nom de Gutenberg évoque à la fois l’époque : vers 1440 ; le lieu :  l’Allemagne ; le fait : la multiplication des textes grâce aux inventions de cet imprimeur ; l’esprit de l’époque : l’humanisme.

Toutes ces informations implicites donnent son sens à l’idée de démocratisation de la lecture. En effet, l’invention technique qui permet de remplacer les textes manuscrits (écrits à la main) par des textes imprimés comblait un vœu humaniste :  rendre accessibles au plus grand nombre la connaissance et, par le fait même, la liberté de pensée.

– Le lecteur doit faire appel à sa réflexion pour établir des liens de sens entre différents éléments présents dans le texte, comme le montre l’exemple ci-dessous.

La Renaissance donna à l’humanisme un nouveau départ.

Dans cette phrase, le lecteur observe que les mots Renaissance et nouveau départ suggèrent la même idée : un retour à la philosophie humaniste. Pour donner tout   son sens à une telle idée, il faut connaître ce qu’on associe à l’humanisme : l’époque (le XVIe siècle), le lieu (l’Europe) et le contexte idéologique (le retour à l’Antiquité grecque).

À partir de ces données, le lecteur peut, en réfléchissant à l’expression nouveau départ, découvrir pourquoi on a qualifié cette époque de « Renaissance » : l’humanisme n’est pas apparu au XVIe siècle, il s’inscrit dans une tradition de pensée qui a légué aux écrivains et penseurs d’alors les principes de la philosophie humaniste.

-La démarche de clarification des données conduit le lecteur à accumuler des informations sur certains mots, certaines références, certains éléments implicites du texte. Grâce à ces nouvelles informations, il peut :

• réévaluer son hypothèse de sens global,

• mieux comprendre certains éléments de l’idée directrice retenue,

• établir des liens de sens non perçus lors de la lecture exploratoire,

• entrevoir des idées secondaires importantes pour une compréhension plus riche du texte.

Tous ces aspects du texte pourront être mis à profit lors de l’analyse du mouvement de la pensée.

 

Ainsi, il faut retenir que la lecture analytique est :

– Une étude méthodique du texte,

– Une interprétation du texte à partir d’une problématique qui en soulève l’enjeu et qui constitue un projet de lecture : on construit du sens,

– Une démarche structurée qui met les outils d’analyse au service de l’interprétation.

Le but pour le lecteur est d’acquérir de l’autonomie dans sa lecture, dans sa compréhension et dans son interprétation du texte, ainsi que dans sa façon de présenter ses conclusions sur le texte

 

 

 

 

 

 

 

Références

 

Baril, D et   Guillet, J.1992.  Techniques   de l’expression écrite et orale. Paris : Sirey

Peyroulet, C.2005. La pratique de l’expression écrite. Lassay-les-Châteaux : Nathan

http://www.ccdmd.qc.ca/media/lect_4_4-03Lecture.pdf

 

 

TD  1

Avant d’effectuer les consignes de cette leçon, vous devriez avoir fait une lecture exploratoire du texte. Nous supposons ici que les trois survols vous ont amené à formuler l’hypothèse de sens global suivante:

La journaliste veut nous informer de l’évolution des conceptions chez les sociologues, depuis la lecture-distinction jusqu’à la lecture-plaisir, évolution qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche.

Ayez cette hypothèse en tête pour effectuer les consignes suivantes.

1. Clarification des mots et des références

• Soulignez systématiquement, dans le paratexte et le texte, tous les mots et les références qui vous posent problème et résolvez ces difficultés avec les outils appropriés (dictionnaires, encyclopédie, etc.).

• Reportez les éléments relevés dans la fiche de travail 1 ; comme vous le montre l’exemple, expliquez en quelques mots la signification de chaque élément en tenant compte du contexte et du sens global du texte. Dans la troisième colonne de la fiche, notez vos réactions, questions et interprétations personnelles.

2. Clarification des informations implicites

La fiche de travail 2 présente, dans la première colonne, certains mots qui réfèrent à des informations implicites et, dans la dernière, une explication sur le sens qu’on peut en tirer.

• Cherchez dans le texte ou dans vos connaissances des indices qui vous aident à faire le lien entre les éléments donnés et l’explication proposée.

• Inscrivez ces indices dans la deuxième colonne de la fiche.

Consultez le corrigé.

N’oubliez pas : puisque cette leçon est la première des trois étapes de la lecture analytique, conservez le résultat de votre fiche de travail et le corrigé pour répondre aux consignes des leçons suivantes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Texte

Dans le cadre d’un dossier sur la lecture, Martine Fournier rencontre l’historien Maurice Aghulon, auteur de l’Histoire des idées républicaines.  Dans son œuvre, l’historien retrace comment la République française s’est progressivement consolidée et comment elle s’est installée dans les mentalités, notamment en rapport avec la démocratisation de la lecture.

                                    De la distinction au plaisir

La lecture a longtemps été considérée comme une habileté innée. Comme historien, j’ai observé qu’elle n’a pas échappé à l’investigation des sociologues modernes. Dès 1979, Pierre Bourdieu s’attaque au consensus établissant l’« universalité » de la littérature comme symbole d’une lecture de qualité. Dans La Distinction, il décrit comment une certaine élite, soucieuse de se démarquer du public, s’octroierait le pouvoir de consacrer les œuvres canoniques. Le champ de la bonne littérature, et par voie de conséquence de la bonne lecture, serait donc délimité par certaines instances sociales : critiques, académies, prix littéraires.

Poursuivant sa réflexion en 1987 dans Choses dites, le sociologue pose que ce champ social, comme tous les autres, comporte « ses dominants et ses dominés, ses conservateurs et son avant garde, ses luttes subversives et ses mécanismes de reproduction ». Dans cette perspective, P. Bourdieu décrit les mécanismes sociaux qui légitiment une culture : les goûts des lecteurs résulteraient des conditions sociales dans lesquelles ils auraient évolué, le capital culturel de la famille notamment.

Par ailleurs, selon sa théorie, les pratiques culturelles perdraient leur valeur de « distinction » en se diffusant dans toutes les couches sociales. Ainsi, la démocratisation de l’enseignement, la diversification des écrits et leur accès toujours plus ouvert à un large public contribuent à la désacralisation des œuvres qualifiées autrefois de « classiques ». La bande dessinée, le roman policier ont aujourd’hui leurs lettres de noblesse : on en fait des objets de recherches doctorales dans les universités.

En 1993, le sociologue François de Singly, dans Lire en France aujourd’hui, soutient que les études sur la lecture, trop souvent dépendantes de la théorie de « la distinction », ont négligé des dimensions telles le plaisir, le rêve, l’identification. Il propose une nouvelle perspective : « admettre qu’un livre puisse servir à se distinguer », mais aussi à « apprendre, pleurer, se connaître par un long détour, s’ennuyer... ».

À l’heure actuelle, avec Internet notamment, l’ouverture de la lecture à des genres, des supports et des publics de plus en plus diversifiés crée un vaste champ d’étude aux chercheurs en sciences humaines. Son exploration nous permettra-t-elle de mieux comprendre comment et pourquoi les lecteurs, quels qu’ils soient, s’approprient les œuvres ?

Texte adapté d’un article de la journaliste Martine Fournier, dans Sciences humaines, no 82, avril

1998, France.

 

 

Fiche de travail 1 : Clarifier des mots et des références

Remarque : Le relevé des éléments est individuel ; il dépend des connaissances de chaque lecteur. Si vous manquez d’espace sur la fiche, imprimez-en une deuxième.

Éléments à clarifier

Explication dans le contexte du sens globale

 

Réactions, questions et interprétations personnelles

Mot : démocratisation de la lecture

Rendre (la lecture) accessible à tous

Voilà un mot abstrait qui annonce un texte soutenu, sérieux, scientifique peut être ? 

Mot

 

 

 

 

Mot

 

 

 

 

Mot

 

 

 

Mot

 

 

 

Mot

 

 

 

 

 

 

Référence :

Maurice Aghulon

Historien contemporain

Inconnu du public non spécialisé

 

Cette référence confirme le caractère   scientifique de la revue.

Référence :

 

 

 

 

Référence :

 

 

 

 

 

 

 

 

Fiche de travail 2 : Clarifier des données implicites

Données implicites

Indices repérés dans le texte ou connaissances personnelles

Explications des données implicites

La « distinction »

(Paragraphe 1)

Le texte parle d’une « habileté innée », de la « littérature comme symbole d’une lecture de qualité », d’une « élite, soucieuse de se démarquer du public » qui « s’octroierait le pouvoir de consacrer les œuvres » et déterminerait « la bonne littérature ».

La notion de « distinction »

Suggère la supériorité qui place quelqu’un, ici une certaine élite littéraire, au-dessus du commun.

Le consensus sur l’« universalité» de la littérature comme symbole d’une lecture de qualité

(Paragraphe 1)

 

 

La notion d’« universalité » suggère que l’opinion de l’élite est partagée par tous : seule la lecture des œuvres littéraires qu’elle décrète « bonnes » établit la qualité du lecteur.

Les œuvres « classiques »

(Paragraphe 3)

 

La notion de « classiques » suggère que seules sont « bonnes » les œuvres approuvées par l’élite ; elles excluent le roman policier et la bande dessinée, genres littéraires jugés inférieurs.

Un nouveau « champ d’étude »

(Dernier paragraphe)

 

La notion de nouveau « champ d’étude » suggère que les conceptions sur la lecture ne sont plus laissées aux intérêts des gens au pouvoir, mais résultent de l’application de méthodes scientifiques objectives. Ainsi, toute lecture peut maintenant devenir un sujet digne de recherche

; on ne juge plus la personne qui lit, on cherche plutôt à comprendre ses mécanismes de lecture.